> UK
Dino Chatila
C’est un art viscéral, à la fois fort et doux. Une expression qui a la force de son authenticité. Un langage plastique qui révèle les combats d’une vie.
Dino Chatila est autodidacte et son art est comme un jaillissement naturel, une nécessité de révéler quelque chose. Son histoire personnelle est riche d’identités multiples – d’origine libanaise, il naît à Puerto Cabello au Vénézuela en 1964. Mêlant origines musulmanes et catholiques, très attaché à l’Italie, il vit et travaille à Bruxelles.
L’artiste a pour objectif de montrer la face cachée de toute vérité. Lorsque la déception entre dans une vie, elle révèle le revers des choses. Le monde auquel on croyait se fissure. Que reste-t-il une fois nos certitudes et nos illusions envolées ?
Si la surface est un leurre, si couvrir c’est cacher, alors il faut creuser, aller à la recherche du vrai. Couche après couche, il faut dégager l’âme. Cela se fait à coups de grattoirs, de griffures, de trous sur des peintures à l’huile… Cela ne se fait pas sans violence. Pas sans délicatesse non plus. Le combat contre les faux-semblants est farouche : il faut percer la vérité au cœur. Il y a des retours en arrière aussi, des réparations, des raccommodages. La quête n’est pas chose tranquille, d’autant plus que la mémoire est en jeu.
Les traces que laissent les gestes – traits, surfaces, couleurs, fils - nous parlent avec subtilité du voyage intérieur de l’artiste qui, dit-il, y voit plus clair ainsi. La disparition se fait donc apparition.
Dino Chatila s’engage dans un combat corporel pour toucher l’intime. Ses grands formats exigent un engagement physique pour poser la matière qu’il ajuste ensuite en revenant sur la surface, en la creusant, la grattant, la lacérant, puis qu’il raccommode comme un corps cicatrisé. Le geste est essentiel.
Qu’on ne s’y trompe pas : c’est un vrai langage plastique qui exprime avec générosité les revers de l’âme, et non une approche matiériste. Le geste s’applique tant à la toile et au bois qu’au plexi ou à l’acier inoxydable. Ce dernier matériau exerce une attraction particulière sur le spectateur, le renvoyant à ses propres revers…
Plexi et acier introduisent de manière claire le relief. Mais l’épingle constitue aussi une incursion dans l’espace. Les épingles s’enfoncent dans la toile, surgissent de l’arrière. Passer à travers et investir l’espace : voilà la 3e dimension. On retrouve ces épingles avec ou sans tête de verre coloré comme un champ de vibrations qui s’installent sur la toile ou dans l’espace. Référence innée à la couture et au raccommodage, les épingles dont les nuances infinies des têtes de verre fascinent, jouent de leur pointe acérée comme un danger, une menace.
L’art de Dino Chatila est impulsif et réfléchi, généreux et subtil. Qu’y a-t-il derrière tout ça ? La vie, la vraie.
Isabelle Grevisse